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Fantasy d'ici et d'ailleurs

Quatre nouvelles de Robert E. Howard

26 Mai 2016 , Rédigé par Alex Evans Publié dans #Publications, #Humeur

Quatre nouvelles de Robert E. Howard

Enfin, je suis venue à bout des traductions des quatres nouvelles: La Pierre noire, La Chose sur le toît, Les Enfants de la nuit et Le feu d'Assurbanipal. Ce sont les nouvelles dites "Chtuhlesques" de Robert Howard, écrites de 1931 à 1936 et où il s'inspira de l'univers de son copain Lovecraft.

Ces récits arrivent à la fin d’une longue période de transition dans le récit d’horreur. Jusqu’à la fin du 19ème siècle, l’élément fantastique principal est généralement issu du folklore (vampire,…), ou de la religion (objet ayant un rapport avec le Diable, fantôme…), Mais ensuite, cet élément fantastique va relever soit d’une religion exotique inconnue du public occidental (vaudou, hindouisme,…), soit de l’inexpliqué, comme c’est le cas chez Lovecraft. Sans doute, est-ce le reflet de l’abandon des croyances traditionnelles et de la peur de l’inconnu du grand public au cours des bouleversements de l’époque.

L’incursion de REH dans l’univers de Lovecraft est placé sous le signe du paradoxe : en effet, ses héros, très physiques, avec leur habitude d'affronter bille en tête ennemis bien humains et créatures surnaturelles sont à l'opposé de ceux, bien cérébraux de Lovecraft. Dans les trois premières, où le héros-narrateur se contente le plus souvent d'observer, on a l'impression que Howard est mal à l'aise. Cela et la présence de quelques incohérences internes aux intrigues, ont fait dire à certains exégètes que ces textes étaient inachevés. Non seulement il existe quelques incohérences, mais des erreurs sur l’Histoire ou la Géographie que même un contemporain de REH très modérément éduqué aurait pu relever. Qu’importe, dirons les fans, le texte est magnifique ! Cependant, rappelez-vous que c’est précisément les erreurs de ce genre qui ont valu aux pulps leur mauvaise réputation !

Si les aventures de Conan restent populaires en 2016, d'autres oeuvres de REH, dont ces nouvelles, sont devenues difficiles à comprendre sans quelques précisions pour le lecteur moderne. Le contexte géopolitique a changé. On ne dit plus "la rive sud du Golfe Persique" (« Le Feu d’Assurbanipal »), mais, suivant le contexte, l'Arabie Saoudite, le Bahrein, le Quatar ou les Émirats Arabes Unis. Le sens de certains symboles, évident pour un lecteur de l'époque a également changé. Pour nous, un crapaud évoquerait un écosystème menacé par la pollution, plutôt que le summum de la laideur.

Un autre thème très présent dans ces nouvelles, c'est l'existence d'un Mal absolu qui est non seulement extérieur à l'homme, mais existait avant lui. Cette notion vient bien sur du Satan chrétien. En parallèle, on trouve l'idée que certains animaux, individus ou groupes d'individus ont une nature malveillante de naissance. Vu l'époque (celle de la montée du Parti Nazi en Allemagne) cela débouche sans effort sur l'idée que certaines races "polluent le bon air pur" et « souillent la terre de bave » et doivent être éliminées jusqu'au dernier individu, sans que l'on sache vraiment ce qu'elles ont bien pu faire pour mériter un tel traitement. La virulence de la diatribe du héros des "Enfants de la Nuit" fait froid dans le dos. Si un lecteur des années 1970 ou 1980 pouvait la lire placidement et la considérer comme une figure de style archaïque, un lecteur de 2016 ne peut plus se permettre ce confort. Il est heureux pour REH qu'il n'ait pas nommé une race existante, sinon, il aurait été définitivement catalogué comme un auteur nazi.

Le dernier grand thème qui traverse ces nouvelles, c'est l'Interdit. L'auteur du Livre Noir, comme celui du Necronomicon, est assassiné de façon spectaculaire pour avoir exploré et écrit un livre sur des sujets interdits. Pourquoi sont-ils interdits? Mystère. Les Grands Anciens seraient-ils soucieux de leur anonymat ? Et pourquoi les sorciers, prêtres, membres de sectes et les individus classés du coté des méchants en général semblent pouvoir obtenir ce savoir sans dommage ? L'une des explications que donne REH à cet interdit est que celui qui accède à ces connaissances devient fou ou idiot. Quelle était, dans les années 1920-1930 la chose qu'on gardait cachée, secrète, car elle pouvait rendre « fou ou idiot »? Le sexe, bien sûr! Chtulhu aurait-il quelque chose de freudien? Je laisse à d'autres le soin d'en débattre!

Enfin, un mot sur le style de l'auteur. Pour des pulps américains des années 1930, REH utilise des phrases très longues et des mots compliqués. Un élément typique de son style est la juxtaposition de termes quasi redondants tels que « pulser et palpiter » ou « zèle et enthousiasme » (« Les Enfants de la Nuit »). Par ailleurs, les récits eux-mêmes, oscillent parfois entre « une clarté stupéfiante et un amas d’imprécision », la phrase utilisée pour qualifier le contenu du Livre Noir. On est tenté de se demander si un bétalecteur n'avait pas fait ce reproche à Howard lui-même ! Par exemple, dans « La Chose sur le toît », l’un des personnages décrit en détail un mystérieux temple, mais lorsqu’il arrive à la description de l’autel, il se contente de dire qu’il est « curieusement taillé » !

Reste la musique du texte, des associations de mots baroques, flamboyantes, des visions fantastiques qui rappellent que Howard était aussi un poète.

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