La chasseuse de livres
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J'étais partie sur un projet de novella steampunk, mais à la fin, je ne sais pas à quoi je suis arrivée. Je ne suis pas une grande fan de steampunk en soi, mais j'aime bien le 19ème siècle, sa peinture kitsch, ses illustrateurs, sa mode féminine et sa porcelaine. J'ai essayé de garder un style 19ème également, mais ce n'est vraiment pas facile!
Alors un petit début:
Je suis une princesse. Une vraie. Mes ancêtres ont régné sur ce pays depuis des temps immémoriaux. Le sang de générations et de générations de rois, princes, seigneurs et chevaliers coule dans mes veines. Mais ça, c’est du passé. Les monarques n’existent plus. Le pays est gouverné par une Assemblée et un Consul qui changent tous les cinq ans, au gré des humeurs du peuple et c’est bien. Je n’aurais voulu être une poule pondeuse d’héritiers pour rien au monde. Ma famille n’a gardé que le château ancestral où mon père se livre à sa passion : l’horlogerie. Les couloirs empoussiérés de notre demeure sont remplis de cadrans et de balanciers. Les tic tacs résonnent aux échos dans les grandes salles vides. Les rois, c’est du passé. Moi, je veux vivre au présent et avoir un futur.
Ce matin-là, je descendis de l’omnibus sous une pluie battante, habituelle en ce début de printemps. J’avais encore oublié mon parapluie. Relevant mes jupes autant que le permettait la décence, je louvoyai de mon mieux entre les flaques d’eau pour m’engager dans les allées entre les bâtiments de l’université. J’arrivais à celui qui abritait le laboratoire de paléographie thaumaturgique alors que la cloche du beffroi sonnait neuf heures. En passant sous l’heptagone, l’antique symbole de mages qu’avait repris notre nouvelle faculté, je croisai Quintus Corin. Il ma fit un signe de tête, mais ne s’arrêta pas. Encore une affaire urgente sur le terrain, sans doute. Je ne pus m’empêcher de suivre sa haute silhouette du regard pendant quelques secondes.
Je traversai le laboratoire en saluant mes collègues assis le long des tables. Ignace, l’étudiant stagiaire, classait des cartes perforées. Cornélius lisait une incantation pour actionner un petit engrenage qui soulevait des poids calibrés. Quand au chef, le Professeur Florizel, il sirotait son café en parcourant le dernier numéro du Journal International de Magie Quantique. J’accrochai mon chapeau et ma veste avant de me glisser à ma place : un cagibi où s’entassaient les ouvrages de moindre importance, les vieux numéros de revues scientifiques, des notes et notre réserve de thé. Là, on m’avait coincée une petite table boîteuse sur laquelle je préparais ma thèse.
Une lettre m’attendait posée contre la machine à écrire. L’enveloppe de couleur lilas diffusait un léger parfum. Je l’ouvris et en tirai une épaisse feuille de papier bleu couverte d’une écriture élégante et serrée :
Chère Mademoiselle de Galata,
Permettez-moi de me présenter : je suis Tamora Caton, conservatrice du Musée de la Fondation des Sciences Occultes. Je suppose que vous avez connaissance de nos efforts pour préserver notre héritage ésotérique.
J’aurais vivement souhaité faire votre connaissance et peut-être vous proposer une petite association sur un projet de recherche. Je serai très heureuse de vous rencontrer le dix-sept de ce mois, à quinze heures, à l’occasion d’une visite privée du Fond Spécial du musée.
Veuillez agréer, Mademoiselle, etc…
La Fondation des Sciences Occultes ? Qui dans ma position n’aurait pas rêvé d’une telle visite ? L’une des plus grandes collections privée d’objets magiques au monde. Une vision de salons feutrés bordés de vitrines et de petits fours apparut devant mes yeux. Un rêve pour une étudiante attaquant sa deuxième année de thèse de magie. Peut-être m’y ferais-je même des contacts utiles ? Et quelle association pouvait-elle bien me proposer ? Sans doute quelque chose en rapport avec les invocations aux esprits dans la culture chamanique de la Décadence Précoce. J’avais publié un article original dessus l’année dernière, grâce aux documents que j’avais trouvés dans le grenier familial. Peut-être ce petit travail me rapporterait même un peu d’argent pour monter ma future affaire ? Mon père et le Professeur Florizel me voyaient en respectable académicienne, traduisant et commentant les ouvrages de magie les plus prestigieux. Mais je commençais à avoir d’autres idées. Je ne voulais pas être enfermée, je voulais être sur le terrain. Je voulais être chasseuse de livres. J’aime chasser.
Pas un métier pour une femme, me disait-on. Mais je n’ai jamais rien fait comme tout le monde. C’était un domaine plein d’avenir. Un domaine encore vierge où l’on pouvait se faire un nom. Même si on était une femme.
Conformément à son cycle, la magie avait disparu pendant trois siècles. Depuis une vingtaine d’années, elle réapparaissait progressivement. Son potentiel était énorme : une énergie capable de déplacer les locomotives, les navires, alimenter les usines et je ne sais quoi encore. Des petites sociétés dédiées à son étude se formaient un peu partout. Ce n’était encore que l’univers de quelques scientifiques originaux ou amateurs excentriques. D’autant plus que c’était une discipline dangereuse. Le problème principal était qu’on avait oublié comment l’utiliser. Les sorciers d’antan étaient jaloux de leurs connaissances et les gardaient secrètes. Le culte de la Voie qui s’était répandu peu après la disparition de la magie avait tenté d’éradiquer toutes ses traces. Il ne restait plus que des superstitions, des légendes, des rumeurs, exagérées et déformées. Il fallait tout reprendre à zéro, ou bien retrouver les rares livres et instruments qui dormaient au fond de caches. De tombes. De pyramides piégées et de temples oubliés… Bien entendu, ces artéfacts coutaient une fortune. Les chasseurs de livres risquaient gros, mais gagnaient beaucoup. Et oui, la magie était aussi une affaire d’argent.
Le dix-sept était le lendemain. Cela ne me laissait guère le temps de m’organiser. Il allait falloir sauter le petit-déjeuner et travailler jusqu’à tard dans la nuit pour ne pas prendre de retard par mon absence. Comme le professeur était sorti, j’allais trouver Cornélius. C’était lui qui supervisait directement mon travail : la traduction commentée du journal de Léandre L’Alchimiste. Je lui fis mon plus beau sourire.
— Puis-je prendre mon après-midi demain, Cornélius ?
— Certainement, mais pourquoi ?
— L’ami d’un ami de mon père m’a donnée une invitation pour une visite privée du Fond Spécial de la Fondation des Sciences Occultes. Alors c’est une occasion en or pour espionner la concurrence !
Ce n’était un secret pour personne que cette institution avait la prétention de concurrencer les meilleurs laboratoires publics grâce à l’argent de son fondateur, un richissime industriel. Depuis sa mort tragique lors du crash de son zeppelin, sa veuve poursuivait son œuvre avec une opiniâtreté proche du fanatisme.
— Je crois que Quintus s’y rend aussi, dit Ignace derrière sa pile de cartes. Le chef l’a envoyé à sa place, pour ne pas avoir affaire à la vielle Caton. Vous devriez peut-être y aller ensemble ?
— Non, merci.
Il me fit un clin d’œil.
— Il n’arrivera pas avant dix-sept heures. Il doit assister une expérimentation au laboratoire d’invocations.
Biens que nous fûmes cousins éloignés, ce n’était un secret pour personne que Quintus et moi n’avions rien à nous dire. Il m’irritait et m’intimidait à la fois, depuis que j’avais seize ans. Il avait quelques années de plus que moi et travaillait également au laboratoire. Son domaine d’expertise était les enchantements primitifs et il se retrouvait souvent « sur le terrain », ce qui consistait à explorer des cryptes ou mener des négociations avec des trafiquants de reliques. Il avait des manières aristocratiques et un accent hautain, qui allaient tout à fait avec son physique de beau ténébreux des romans pour dames. De plus, il était membre du Magistère, l’antique association des mages. Elle avait été presque éradiquée par le culte de la Voie. De nos jours, c’est une toute petite entité, mais ils se considéraient encore comme les gardiens des traditions. Leur bibliothèque était la plus secrète qui fut et de nombreuses rumeurs couraient sur son contenu. Ils avaient obtenu une accréditation de l’Etat pour avoir un droit de regard dans toutes les affaires magiques du pays. Les fonctions de Quintus au sein de l’institution demeuraient un mystère. La rumeur disait qu’il était un licteur, un de ces individus chargés de détruire les livres jugés dangereux. Bien entendu, leur identité demeurait secrète. Pour nous autres, « simples sorciers » dans notre jargon, brûler un livre de magie quel qu’il fut, était un sacrilège.
Je pris la route de du musée le cœur plein d’excitation. Pour une fois, j’avais soigné ma toilette, une gracieuse robe d’après-midi de soie orangée. Je m’efforçais de ne pas la salir sur les sièges des transports. La pluie se mit à tomber en gouttelettes fines alors que je descendais l’escalier du métro aérien et je vis les trottoirs se couvrir d’un parterre de parapluies multicolores. Pour une fois, j’avais emporté le mien. Je traversai la foule de touristes ébahis attroupés au pied de l’Observatoire, admirant l’engrenage géant qui faisait tourner la salle d’observation à son sommet. Ensuite, je traversai la rue pour me retrouver pile à l’heure devant l’escalier qui menait à la fondation.
C’était était un bâtiment spectaculaire qui avait suscité de nombreuses critiques lors de sa construction. L’architecte avait tenté d’en suggérer la fonction en imitant un temple atlante. La façade était ornée de piliers en forme d’arbres stylisés et des gargouilles s’alignaient sous le toît. Des jeunes femmes alanguies représentant les vertus supportaient les balcons. Un grand dragon de bronze semblait prêt à s’envoler au-dessus de l’entrée. Ses ailes articulées battaient, entrainées par un mécanisme astucieux dissimulé dans son ventre.
Un portier en livrée m’ouvrit la porte. Dans le hall, je fus accueillie par un jeune réceptionniste qui ne put s’empêcher de me lorgner comme si j’étais une glace à la fraise et se répandre en un babillage insignifiant. Je commençais à avoir l’habitude de l’effet que j’avais sur les hommes. Il abandonna son bureau pour me guider à travers des couloirs couverts de boiseries jusqu’à une immense porte de chêne. Il frappa et une voix grave répondit. Il tira sur la poignée et s’effaça pour me laisser entrer.
La pièce était assez vaste pour contenir mon laboratoire en entier. Il y avait de longues teintures de velours rouge aux fenêtres et les murs étaient tendus de soie aux motifs dorés. Sur celui de gauche s’alignaient des étagères vitrées emplies de livre.
A l’autre bout, une femme énorme était assise derrière un bureau d’ébène, aussi poli et brillant qu’un miroir. Ses cheveux gris fer étaient serrés en un chignon austère. Le col de sa robe bleu marine était fermé par une broche d’agate. Derrière elle était accrochée une énorme tapisserie représentant la Danse des Fées. Elle me jaugea de ses grands yeux noirs sans se lever, ni tendre la main.
— Bonjour, Mademoiselle de Galata. Je suis Tamora Caton, finit-elle par dire d’une riche voix de contralto.
Son visage s’éclaira enfin d’un bref sourire :
— Je suis heureuse que vous ayez pu venir malgré des délais aussi courts. Je vous en prie, asseyez-vous.
Je m’assis sur la chaise sculptée devant le bureau.
— Prendrez-vous du thé ?
Sans attendre ma réponse, elle appuya sur un bouton d’argent sur la table. Comme par magie, la partie gauche s’ouvrit et laissa sortir un plateau en argent, avec deux tasses en porcelaine bleue et or, une théière fumante et des biscuits.
— C’est très pratique, dit-elle en voyant mon regard surpris. Un monte-plat directement des cuisines. Plus besoin de perdre du temps à attendre les domestiques.
Elle servit le thé et les biscuits. Un instant, nous les savourâmes en silence. C’était un Oalun parfumé au jasmin, une variété extrêmement chère, bien qu’elle ne fût pas ma favorite. J’ai toujours été un peu maniaque avec mon thé. Cela vient de ma mère.
Alors que j’étais à peu près au deux tiers de ma tasse, comme le prévoyait l’étiquette, Madame Caton entra dans le vif du sujet :
— Mademoiselle de Galata, avez-vous entendu parler de l’Appel aux Anciens ?
— Bien sûr. D’après la légende, c’était un grimoire de sorcellerie.
— Ce n’est pas seulement une légende.
Je m’immobilisais, ma tasse en l’air.
— Ah ? réussis-je à répondre poliment.
— Non, ce n’est pas une légende, répéta-t-elle. Et je veux que vous le retrouviez.
Pendant un instant, je fus à court de paroles, ce qui, sans me vanter, n’arrivait pas souvent. Mais contredire mon interlocutrice n’était pas une bonne idée.
— Voyons, dis-je prudemment, il n’est pas dans le catalogue des ouvrages occultes de la Bibliothèque Thaumaturgique, ni dans l’Arcanomicon, ni dans le recensement du Magistère.
— Vous savez comme moi que cela ne veut rien dire. Les deux dernières listes que vous citez ne sont publiées que depuis une cinquantaine d’années.
C’était vrai.
— Autant que je me rappelle, ce livre fut écrit il y a plus de quatre cent ans et en un seul exemplaire. S’il n’a pas été décomposé par l’âge et les hasards de l’histoire, il a largement eu le temps d’être détruit par les Gardiens de la Voie.
— Des ouvrages plus vieux ont survécu.
— Pas beaucoup… et pas chez nous. Si un grimoire aussi important que l’Appel existait, il aurait déjà été retrouvé, non ?
Madame Caton remplit à nouveau ma tasse de thé :
— Que savez-vous de lui ?
— Pas grand-chose, à vrai dire.
Inutile de lui expliquer que je m’intéressais aux objets réels. Pas aux légendes.
— Connaissez-vous l’histoire de la Plaine avant l’arrivée de la Voie ?
— Un peu. C’était une grande étendue de steppe habitée par des tribus nomades, à l’exception de quelques cités dont Tourmayeur était la plus grande.
— En effet. Après la disparition de la magie, certains chamanes nomades s’établirent dans cette ville. On dit que l’un d’entre eux, un certain Altaïr, produisit une compilation de leurs rituels, sorts et enchantements, auxquels il ajouta ceux qu’il put glaner auprès des prêtres de la cité ou même copier dans leur bibliothèque. Vous savez, bien sûr, que ces chamanes possédaient le don : non seulement ils percevaient la magie comme nous entendons un son, mais ils étaient capables de la tisser pour fabriquer des sorts au fur et à mesure de leur besoins. C’étaient des sorciers tellement puissants, qu’ils ne se risquèrent jamais à coucher leurs techniques par écrit du temps où la magie existait. Si l’un des derniers d’entre eux a fini par rédiger une compilation, il s’agit sans nul doute du plus grand livre jamais écrit sur le sujet.
— S’il existe toujours, répondis-je d’un ton neutre.
Une excentrique. Je commençai à me demander ce que je faisais là.
— Cet homme fit don de son ouvrage à la bibliothèque du Temple de Tous les Dieux…
— Il en fit don ?
— Cela peut paraitre étrange, mais n’oubliez pas que les enchantements ne marchaient plus et qu’il les connaissait lui-même par cœur. C’était un peu comme offrir un vieux cahier de recettes de cuisine à la bibliothèque de son quartier.
Elle sirota une gorgée de thé.
— Après le sac de Tourmayeur par les tenants de la Voie, ce livre disparut avant d’émerger cinquante ans plus tard en la possession d’un trafiquant de livres occultes du nom de Garamond. Celui-ci finit par être arrêté, son fond de commerce fut confisqué et incorporé aux possessions du duc Osric. Quelques années plus tard, celui-ci l’offrit à son amant, un lettré du nom d’Escalante et un des derniers à pratiquer ouvertement les anciens rites. Bien sur, cela choqua beaucoup les tenants de la Voie. Peu après, la cité fut frappée par une épidémie de peste et ils accusèrent Escalante d’avoir provoqué la colère divine. Il mourut peu après dans des circonstances troubles : certains disent qu’il fut assassiné par leurs Gardiens, d’autres par le duc, d’autres encore qu’il se suicida. Le livre disparut avec lui.
— Je suppose que ses héritiers, le duc ou les Gardiens l’ont simplement brulé, dis-je prosaïquement.
— Ce grimoire était protégé par un enchantement.
— La magie n’existait plus.
— Ses pages avaient été taillées dans du cuir de dragon et le texte gravé dessus. Comme vous le savez, cette matière résiste aux objets tranchants ordinaires, au feu, à la putréfaction et à la corrosion.
Je ne pus m’empêcher de pousser un soupir.
— Il existe certainement d’autres façons de détruire un livre.
— Pas à l’époque… Je vois que vous êtes sceptique.
J’étais plus que cela. Come toute nouvelle science, la magie avait son lot d’originaux, d’huberlulus et d’excentriques capables de croire dans leurs rêves plutôt que les faits. Avec des individus pareils, ce ne serait pas une discipline scientifique avant longtemps !
— J’aimerais que vous vous rendiez à Tourmayeur pour retrouver sa trace, Mademoiselle de Galata.
— Pourquoi moi ? Je ne suis qu’une étudiante !
— J’ai déjà mandaté des professionnels, mais sans succès. J’ai besoin d’un regard neuf. Je me flatte d’être bonne juge du caractère des gens. Et j’ai aimé l’approche pragmatique que vous avez dans votre étude des invocations aux esprits.
— Si des chasseurs de livres professionnels n’ont pas trouvé…
— Allons, Mademoiselle, je ne demande pas grand-chose : peut-être une semaine de votre temps. Tous frais payés et un peu d’argent de poche. Si vous ne trouvez rien, tant pis. Si vous trouvez quelque chose… cela vous donnera matière à écrire un papier ou deux… Si vous trouvez le grimoire lui-même… votre fortune est assurée. Vous n’avez rien à perdre, tout à gagner.
Effectivement, vu comme ça, c’était une bonne affaire.
— C’est d’accord. Mais il faut que je demande la permission à mon directeur de thèse.
— Excellent ! Cependant, je vous prierai de rester le plus discrète possible. Comme vous le savez, Florizel et moi-même sommes en concurrence sur un certain nombre de projets.
Cela ne me sembla pas être un problème. Le professeur n’était pas assez fou pour aller poursuivre une légende.
— Maintenant, allons rejoindre les autres invités.
Au lieu de se lever, Madame Caton sembla pivoter derrière son bureau et le contourner, toujours dans son siège. Je compris alors pourquoi elle ne s’était pas levée pour me recevoir. Elle était assise dans un fauteuil roulant. Cela expliquait pas mal de choses. Bien des gens cherchaient la magie pour des projets personnels : ressusciter un être cher, guérir…
Le fond spécial était un endroit fascinant. Une série de pièces autour d’un péristyle central éclairées par des candélabres de bronze en forme d’animaux fantastiques. Une dame vêtue d’une somptueuse robe ourlée de zibeline, l’épouse d’un riche donateur sans doute, regardait nerveusement le crâne d’un orc dans sa vitrine. Les yeux avaient été remplacés par des émeraudes et les dents incrustées de rubis, mais il n’en était pas moins effrayant pour autant. La trentaine de visiteurs était composée de mécènes et d’experts, amateurs ou professionnels. Il y avait même deux méralais qui se distinguaient par leur grande taille et leur teint crépusculaire. J’échangeais quelques mots avec deux ou trois chercheurs que je connaissais un peu avant d’aller déambuler entre les vitrines. Le squelette presque complet d’une vouivre trônait au centre du péristyle. Des dents et des écailles de plusieurs espèces de dragon occupaient toute une pièce. Au bout d’une heure, je m’arrachai à la contemplation d’une corne de licorne pour regarder ma montre de poche : Quintus n’allait pas tarder à faire son apparition. Il fallait partir. Je me dirigeais vers la sortie, lorsque je me sentis observée. Je coulais un regard en coin sous mes paupières baissées. Un homme debout sous un griffon empaillé me dévisageait sans aucun gène. C’était l’un des méralais. Les méralais n’avaient pas de manières. Ou, selon le point de vue de certains voyageurs, leurs manières n’étaient pas les nôtres. Il portait un costume clair de bonne facture et tenait un cigare à la main. Ses cheveux très noirs étaient coupés court, sans doute pour les empêcher de friser. Une fine moustache ornait sa lèvre supérieure et de fines lunettes cerclées d’or étaient posées sur son nez busqué. Voyant que je lui retournais son regard, il sourit et s’avança vers moi.
— Mademoiselle de Galata ?
Il avait une voix posée avec un léger accent.
— Oui.
— Je vous ai vue parler de vos travaux lors de la réunion de la Société de Thaumaturgie, l’année dernière. Permettez-moi de me présenter : Rinaldo Dia Marra, membre accrédité de la Société des Arcanes.
C’était l’équivalent du Magistère sur le Continent Sud. Contrairement à ce qui se passait chez nous, la magie relevait d’entreprises privées qui brevetaient leurs découvertes afin d’en tirer profit. Il me tendit une carte de visite. Elle précisait la nature exacte de sa profession : chasseur de livres.
— Enchantée.
— Cette collection est fascinante, n’est-ce pas ?
— Tout à fait, j’ai de la chance d’être là aujourd’hui.
— Le professeur Florizel vous a-t-il envoyée à sa place ?
Je fis un mouvement vague. Quintus allait arriver d’un instant à l’autre et je n’avais pas la moindre envie de lui faire la conversation.
— Excusez-moi, je dois partir.
— Si tôt ? Peut-etre pourrions nous nous revoir un peu plus tard dans la semaine ?
— Malheureusement je serai en vacances. Lors d’un autre congrès, peut-être…
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