Le baiser du Scorpion 2: Le Premier exorcisme
Encore un petit extrait du deuxième épisode. Toujours à la recherche de ses reliques volées, Atil prend contact avec un informateur qui lui donne rendez-vous dans une taverne louche. Son supérieur décide de la faire escorter là-bas par deux jeunes prêtres costauds. Atil n'est pas très enthousiaste. Effectivement, les choses ne se passent pas sans anicroche, mais peut-être pas de la façon habituelle:
— Ce peut aussi bien être un stratagème pour vous soutirer l’argent, grommela Daxas derrière sa table.
— Je sais bien, mais je n’ai pas le choix, répliqua Atil.
— Dans ce cas, emmenez Diar et Calio. Ce sera plus sûr. Cet établissement à une réputation épouvantable.
— Mais… Je ne peux pas exposer ainsi ces jeunes gens !
— Au contraire, ils ont besoin de mûrir un peu et se frotter aux aspects épineux de l’existence. Je suis sur qu’ils en apprendront beaucoup sous votre supervision.
— Il me sera bien plus facile d’y aller sans m’en encombrer.
Le prêtre entreprit d’épousseter avec délicatesse le petit disque de métal qu’il avait ramené de la Cité des Tombes.
— Je sais que vous savez vous défendre, mais bien des guerriers sont morts d’un simple coup de poignard dans le dos.
— Même ainsi. Je n’ai jamais eu à me battre dans une taverne quelle qu’elle fut. La fréquentation de ce genre d’endroit nécessite plus de cervelle que de muscle, grogna la jeune femme. Peut-être serait-ce à moi de veiller à leur sécurité.
— C’est bien ainsi que je l’entends. Ils vous protègeront de leur force, vous les protègerez de votre intelligence. De cette façon, ils apprendront comment se conduire dans ces situations.
Atil soupira et se tut. Elle n’aurait pas gain de cause avec son confrère.
Elle examina ses deux compagnons. Ils s’efforçaient d’avoir l’air sérieux, mais leurs yeux brillaient d’excitation. Elle leur avait fait revêtir des vêtements non consacrés afin de les rendre moins voyants.
— Donc, répéta-t-elle, nous allons en faire le moins possible. Nous entrons dans cette taverne, nous parlons à cet homme et nous partons. L’important est de ne pas se faire remarquer. Que ce soit par une brute en quête de bagarre, un malandrin en quête d’argent, un escroc beau parleur ou un voleur aux doigts légers. Inutile de dévisager les gens de façon trop appuyés. Cependant, restez bien sur le qui-vive et surveillez vos arrières. Et bien sur, je vous rappelle qu’en votre qualité de prêtres, votre tenue doit rester irréprochable. Il est hors de question de s’enivrer, par exemple.
— Bien, Sage Atil.
— Où avez-vous dit que se trouvait cet établissement ?
— Dans la rue de la Soif. C’est la plus mal famée du port.
— Pourquoi exactement ?
— Heu… Il y a des marins.
— C’est assez courant près des quais.
— Ils viennent y vendre et acheter toutes sortes de choses mauvaises… On y joue aux jeux de hasard… et il y a des prostituées…
La prêtresse n’en crut pas ses oreilles :
— Des prostituées ? Il y a des prostituées ici ?
Calio baissa les yeux et rougit, comme s’il en était personnellement responsable.
— Malheureusement, oui.
— Mais, heu… à quoi peuvent elles bien servir ? J’ai cru comprendre qu’il n’était pas difficile pour un homme de se trouver une compagne pour une demi-heure de plaisir.
— Pas du tout, intervint Diar du haut de ses sept pieds. Une femme respectable ne prendrait pas un étranger entre ses cuisses comme ça. Alors, certaines n’hésitent pas à les faire payer pour cet acte sacré.
— De la simonie ? Voilà un point de doctrine très intéressant. Il faudra que j’en discute avec le Très Sage Daxas… Quel genre de substance illicite trafique-t-on là-bas ?
— Du lotus violet…. du jus de naylée…
— Frelaté ajouta Calio. Un homme en est mort au dispensaire, il y a une semaine.
— Rien de bien original, en somme, soupira la jeune femme.
Ils prirent le chemin du port après le coucher du soleil. Les jeunes prêtres s’étaient munis chacun d’un solide bâton de marche, les armes tranchantes étant incompatibles avec leurs fonctions sacerdotales. À cette heure, la rue de la Soif était encore calme. Atil eut vite fait de repérer l’enseigne aux deux calamars. Elle entra la première et jeta un regard circulaire. À sa grande surprise, la salle était bien éclairée par des nombreuses lampes à huile suspendues au plafond. Elle comprit vite la cause de cette débauche de lumière : elle était destinée à faciliter les jeux. La plus grande partie de la clientèle était assise autour de grandes tables rondes et commentait bruyamment les parties de dés ou de cartes qui s’y déroulaient. Elle fit assoir ses compagnons dans un coin près du mur et commanda trois bols de thé. Les jeunes gens gardaient les yeux baissés, mais ne pouvaient s’empêcher de laisser filtrer des regards emplis de curiosité.
Au bout de quelques instants, un homme vint s’assoir à leur table. Il était fluet pour un Nadinite, avec des cheveux clairs et sales.
— Bonsoir, dit-elle aimablement.
— C’est vous qui cherchez un livre et un cercle en métal ? répliqua-t-il sans retourner la politesse.
Atil nota l’incisive cassée qui lui rappela la description donnée par le libraire qu’elle avait interrogé peu après son arrivée à Kéti.
— En effet.
— Avez-vous l’argent ?
En réponse, la prêtresse posa discrètement la bourse sur la table et défit les cordons. Elle put voir l’éclat de l’or se refléter dans les prunelles de son interlocuteur.
— Payez d’abord.
— Je veux bien vous donner trois aspres d’avance, mais le reste après.
Il passa sa langue sur ses lèvres et jeta un regard inquiet autour de lui. Voilà un homme qui va user de cet argent pour mettre la mer entre la ville et lui, se dit-elle.
— D’accord.
Elle lui donna les pièces qu’il fit prestement disparaitre dans son vêtement.
— Alors ?
— Deux des objets dont vous avez parlé… Le cercle plat et le bouquin… Je les ai volés à un gars qui venait ici.
— Quel gars ?
— Illu, un petit magouilleur. Ça faisait des mois qu’il avait disparu alors qu’il me devait de l’argent. Je l’ai soulagé de sa besace. Et quelques semaines plus tard, j’ai revendu le livre à un libraire et le cercle à un antiquaire du quartier chic. Depuis, mon gars a disparu.
Cela correspondait à ce qu’elle savait déjà, pensa la jeune femme.
— Savez-vous d’où il tenait ces objets et ce qu’il voulait en faire ?
— Non, non !
— Il n’y avait rien d’autre dans sa besace ?
— Non. Il n’aurait jamais mis ses objets précieux tous au même endroit.
Elle hocha la tête.
— Avait-il des amis, des associés ou des gens à qui il devait de l’argent, comme vous ?
L’homme jeta un autre regard nerveux autour de lui puis répondit :
— Il travaille parfois avec Cyariz. Un pilleur de tombe. Il écoulait ses marchandises auprès des voyageurs qui quittaient le pays.
— Comment s’appelle l’antiquaire à qui vous avez vendu le cercle ?
— Ghelani. Sa boutique est la première sur la rue aux Fleurs en venant des quais.
— Bien, conclut Atil en lui tendant la bourse. Je n’ai plus de questions pour vous.
L’homme se leva prestement et se fondit dans la foule. La prêtresse attendit quelques instants en sirotant pensivement son thé. Elle se leva et s’avança vers la porte suivie des deux jeunes gens. Ce fut là qu’elle vit passer devant elle un marin stésien, plus petit qu’elle, mais le poitrail aussi large qu’une porte. Il ne lui prêta pas la moindre attention et alla se planter devant Diar, interloqué. Elle fronça les sourcils, mais l’homme avait un sourire jovial aux lèvres :
— Salut, mon mignon ! Ça te dirait de prendre une bière avec moi ?
— Heu…
— Ou on pourrait aller dans un coin plus calme pour faire plus ample connaissance, qu’est-ce que t’en dis ? Ça fait un moment que je t’observe : t’as le plus beau cul de la Mer de Saphir.
Elle se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire. La figure du jeune géant était trop drôle.
— Qu’est-ce que vous dites ? demanda-t-il d’une voix blanche.
— Je dis, ça te plairait de me tenir entre tes belles cuisses musclées ? Je sais bien m’y prendre avec les jouvenceaux !
Atil ouvrit la bouche pour émettre un refus poli, mais n’en eut pas le temps. La réaction du prêtre la prit totalement par surprise. Son bras se détendit et son poing atterrit droit sur la face du marin. Celui-ci tomba à la renverse, bousculant le client derrière lui.
— Par les Sept Enfers ! jura-t-elle entre ses dents.
Elle agrippa Diar tétanisé et l’entraina vers la sortie avant que qui que ce fut ne réalise pleinement ce qui s’était passé.
Cinq cent pas plus loin, elle s’arrêta.
— Mais par la cervelle sacrée d’Oray, qu’est-ce qui vous a pris ?
— Cet homme, il voulait… il voulait…
— Oui, je sais, c’était un étranger, saoul, de surcroit, mais il ne pensait pas à mal.
— Mais c’est un homme ! C’est un blasphème !
— Ne hurlez pas aussi fort !
Atil prit une profonde inspiration. Le lendemain, elle allait dire à Daxas ce qu’elle pensait de ses méthodes d’éducation sur le terrain.
— Chez les Stésiens les jeux du plaisir entre hommes sont assez courants. Ils se débrouillent quand même pour avoir des enfants.
— Par les seins d’Oray, comment leur permet-on de venir à Kéti ?
— Parce qu’il y en a au moins un sur presque chaque navire de la Mer de Saphir… Vous par contre, vous avez sérieusement manqué de tenue. Non seulement vous n’avez pas suivi mes consignes de pondération, mais vous avez usé de violence !
— C’est un blasphémateur ! Il devrait être pendu ! Son âme errera à jamais au fond du Septième Enfer !
Elle se sentit soudain très lasse.
— Je crois que je vais laisser le Très Sage Daxas en discuter avec vous.