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Fantasy d'ici et d'ailleurs

Sorcières Associées

10 Août 2015 , Rédigé par Alex Evans Publié dans #Publications

Sorcières Associées

J'ai décidé de faire un essai d'auto-édition avec ce roman et me suis inscrite au Concours Amazon des auteurs indés.

C'est le roman steampunk dont j'avais posté le premier jet sur Wattpad sous le titre "Les Sorcières à gages".

Ça se passe dans le même univers que "La Chasseuse de Livres", plus au sud, cette fois, dans une cité cosmopolite du genre Singapour ou Macao vers les années 1900. Dans La Chasseuse de livres et La Machine de Léandre, on voyait la magie pratiquée dans les milieux académiques. Voyons à présent deux sorcières qui exercent cet art dans un cabinet, à titre privé!

Pitch:

Envoûtement de vampire, sabotage de zombies et invasion de gremlins font partie du quotidien du cabinet Amrithar et Murali, sorcières associées. Dans la cité plusieurs fois millénaire de Jarta, où la magie refait surface à tous les coins de rues, les maisons closes sont tenues par des succubes et les cimetières grouillent de goules, ce n’est pas le travail qui manque! Mais tous vous le diront: les créatures de l'ombre ne sont pas les plus dangereuses…

Alors si vous aimez les enquêtes policières, les vampires, les zombies, les goules, les golems, les sorciers, les savants fous, les espions et trafiquants en tout genre, le tout dans une ambiance steampunk assaisonnée d'humour, n'hésitez pas!

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Pour ceux qui auraient acheté et aimé ce roman, pourriez-vous voter pour lui sur Amazon? Comme je participe au concours des auteurs indés, j'ai besoin de vos voix! On me trouve en cliquant "tous les titres participant", à la fin de la liste. Merci!

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Comme d'habitude, voici le premier chapitre:

1- Vampires et zombies

Tanit

Une main subtile glissa le long de ma colonne vertébrale, taquinant mes fesses. J’entrouvris les yeux. Un rayon de soleil filtrait entre les rideaux.

— Réveillée, ma belle Tanit ? Que dirais-tu si on remettait ça ?

La main remonta le long de mon flanc pour effleurer mon sein gauche. Mon regard se posa sur la pendule. Dix heures. Mon premier rendez-vous était pour treize heures. J’avais assez de temps soit pour un petit déjeuner complet avec œufs, toasts et journaux, soit pour une délicieuse partie de jambes en l’air avec ce type que j’avais plumé la veille au casino. Nul au poker, mais expert au lit. Ses doigts abandonnèrent mon sein pour se glisser au creux de mon bas ventre. Tant pis pour le petit déjeuner.

Lorsqu’il fut parti, je m’attardai un peu à ma toilette. Rien à faire, j’aime les tenues spectaculaires et tape à l’œil. C’est Padmé, mon associée qui porte toujours des saris discrets et insiste sur l’importance de présenter une image de sérieux qui inspire la confiance. Mais une sorcière a-t-elle besoin d’avoir l’air sérieux ? On n’est pas des notaires ! Les sorciers ont été des excentriques depuis la nuit des temps ! J’accrochai d’énormes émeraudes à mes oreilles et attachai mes cheveux auburn sur le sommet du crâne. J’optai pour une tenue nordiste bâtarde avec une chemise décolletée, une longue jupe en soie rouge et un corselet noir qui mettait ma taille bien en valeur.

Vingt minutes plus tard, je descendis du rickshaw à vapeur au début de la Voie des Vents. À cette heure, l’embouteillage était tel qu’il était plus simple de finir le chemin à pied. Autotracteuses, vélocipèdes, motocyclettes, chariots à bras et attelages de bœufs, luttaient pour chaque centimètre de la grande avenue. J’aurais pu utiliser mon sortilège de transfert pour me retrouver directement dans mon bureau, mais tout sorcier vous dira qu’il ne faut pas abuser du Pouvoir. J’achetai une pomme à un vendeur ambulant et mordis dedans tout en me frayant un chemin dans la foule cosmopolite, surtout des femmes dans ce quartier commerçant. Nadinites en sarong, ilharites en shalwar kamis, stésiennes en pantalons bouffants, parassies en sari, sans compter quelques nordiques dont les jupes à tournure prenaient la place de deux personnes. Je remarquai un grand châle bigarré à la vitrine de l’une des boutiques et notai mentalement de venir le voir plus tard.

C’était la saison des moussons et la chaleur humide était à son maximum. Des nuages gonflés de pluie menaçaient de se rompre à tout instant au-dessus de ma tête. Certains détestent cette cité. Moi, je l’ai adorée dès le premier jour. Jarta était parvenue à rester un port franc depuis plus de deux millénaires. Peu de règles, peu de contraintes, pas d’idéologie, pas de religion. Sa première loi était celle du fric. Tout le monde avait quelque chose à vendre ou à acheter dans ses murs. Elle changeait tout le temps, se réinventait sans cesse mais au fond, elle restait toujours la même : la légendaire Cité Près de la Mer. Les nordistes y côtoyaient les méralais, les iliens s’y chamaillaient avec les érites et on y voyait même des nadinites s’associer avec des parassies : Padmé et moi avions ouvert notre cabinet cinq ans auparavant et les affaires étaient florissantes.

Le Pouvoir ou magie, cette énergie insaisissable, était revenu depuis une vingtaine d’années, ramenant des créatures qui avaient disparu au point de n’être plus que des légendes. Désormais, krakens et léviathans hantaient les abysses marines. Gremlins et lutins nichaient dans les cimetières. Elfes et sylves jouaient dans les forêts et bien d’autres encore. Ces bouleversements apportaient des opportunités lucratives pour ceux qui étaient prêts à prendre des risques. La sorcellerie avait été de tout temps un métier fascinant, profitable et dangereux. Un métier pour moi, en somme. Techniquement, j’avais la chance ou la malchance d’être plus qu’une sorcière ordinaire : j’avais le don. Je percevais le Pouvoir et je pouvais même le manipuler… Parfois.

La frénésie de construction qui avait saisie Jarta depuis deux ans, démolissant vieilles maisons, temples antiques et cimetières, réveillant esprits, goules et démons, s’était avérée une véritable aubaine. Cependant, la concurrence commençait à se faire sentir : des sorciers nadinites, parassis et même yartègiens affluaient, attirés par l’argent et l’absence de règlementation.

J’arrivai à l’immeuble moderne orné de pieuvres qui abritait notre cabinet peu avant treize heures et pris l’ascenseur, une élégante cage de fer et de bronze. Le cliquetis de ses engrenages résonnait aux échos dans le vaste hall. Je dépassai la grande porte sur laquelle une plaque en cuivre annonçait : Amrithar et Murali, sorcières associées. Conseil en surnaturel, thaumaturgie, exorcismes. Avec ma clé, j’ouvris la porte suivante, plus petite, qui se prolongeait par un couloir étroit. Elle me permettait de rejoindre mon bureau sans traverser la salle d’attente.

Dès que je posai la main sur la poignée, une onde de Pouvoir pulsatile, vivante, me taquina les sens. Dans une cité où on pouvait croiser une fée ou une sirène dans les grands magasins, ce n’était pas totalement inhabituel, mais celle-ci ne me fit penser à aucune de ces créatures. En fait, elle m’évoquait quelque chose de bien plus sinistre. La pierre que je portai à l’annulaire gauche me brûla le doigt, virant au noir. La créature avait été identifiée. L’adrénaline se déversa dans mes veines. Si j’avais été un animal, mes poils se seraient hérissés sur mon dos. J’aurais bien aimé avoir Padmé à mes cotés, elle a une façon de s’y prendre avec les créatures magiques, mais à cette heure, elle était à l’autre bout de la ville, en train d’exorciser une boutique qui bordait la Cité des Morts.

Notre stagiaire m’attendait dans mon bureau, l’air mal à l’aise.

— Bonjour, Onézime, que se passe-t-il ?

— Cassandra vous fait dire qu’il y un monsieur… un peu étrange.

— Comment ça ?

— Et bien… Il lui fait froid dans le dos.

— Et vous, vous en pensez quoi ?

— Heu…

Onézime est un nordiste blond et potelé. Comme tous ceux de ces contrées, il n’a pas du tout l’habitude de fréquenter les femmes. Travailler avec trois d’entre elles à longueur de journée lui fait régulièrement perdre ses moyens. On espère qu’il va s’y habituer, mais c’est long…

— Vous êtes un futur sorcier, mon ami. Vous devez avoir une opinion.

— Et ben… il me fait froid dans le dos, à moi aussi. Il doit porter un talisman très puissant.

— Avez-vous déjà vu un vampire, Onézime ?

Il devint encore plus pâle qu’il ne l’était.

— Quoi ?!

— Observez-le bien, c’est une occasion rare.

— Mais… Il va nous dévorer !

Je me dirigeai vers la porte qui donnait sur la salle d’attente et ouvris une petite fente dissimulée dans les courbes d’une moulure.

— Dans ce cas, ce serait déjà fait. Comme il a pris rendez-vous comme n’importe quel client, je vais le recevoir.

Sur un fauteuil à l’écart, était assis un nordiste au traits acérés, fin comme une corde et blanc comme un linge, sapé d’un costume clair et coiffé d’un panama. L’onde pulsatile venait de lui. Je me demandai ce qu’il faisait là. D’habitude ces créatures ne fréquentaient pas notre dimension. Heureusement, d’ailleurs. Autrefois, il leur arrivait d’y tomber par accident. Des légendes faisaient mention de quelques mages Yartègiens capables de les invoquer et les tenir en leur pouvoir. Le processus était secret, si secret que personne à ce jour n’avait pu le retrouver. On savait seulement qu’il était complexe et dangereux. De plus il fallait fournir au vampire un cadavre pour lui servir de véhicule dans notre monde. Un cadavre très frais dont les organes n’avaient pas eu le temps de se décomposer…

J’ouvris le placard à fusils, décrochai le Peterson 112 et le tendis à Onézime. Celui-ci alla se poster derrière la porte par laquelle j’étais entrée. Ensuite je vérifiai mon propre système de sécurité, un tromblon de ma fabrication dissimulé dans le bureau, que l’on pouvait actionner d’une pression du genou. Enfin, je vérifiai mon revolver dans le tiroir. Je ne me faisais pas d’illusion : il en fallait plus qu’une balle de fusil à éléphants pour arrêter ce genre de créature.

J’ouvris la porte sur la salle d’attente. Cassandra, la standardiste, appela d’une voix mal assurée :

— Monsieur Watson ?

Je fis mon sourire le plus aimable.

La créature se leva et entra sans un mot.

Pendant qu’il se laissait tomber dans le fauteuil réservé aux clients, Je m’installai derrière mon bureau sans le quitter des yeux. Peu d’humains avaient des reflexes assez foudroyants pour pouvoir battre un vampire de vitesse. Je me vantais d’en faire partie.

— Et bien, que puis-je faire pour vous, Monsieur ?

— Tu sais qui je suis.

— Ça ne change pas ma question.

Il m’examina avec suspicion. Croyez-le ou non, mais toutes les créatures magiques se méfient des humains. Même les buveurs de sang. Même les dragons. Surtout les dragons.

Finalement il articula :

— Un de tes congénères m’a piégé. Il a trouvé un moyen de me happer dans votre dimension… Il me tient en son pouvoir et m’a déjà obligé à tuer un homme.

La surprise me coupa la parole. Qui avait pu retrouver cette formule ? Et dans quel but ? Les anciens utilisaient ces démons pour garder un objet, un temple, une tombe, pas égorger des individus aux quatre coins de la ville. Les gens savaient se tenir en ces temps-là ! Je finis par demander :

— Qui vous a… capturé ?

— Je ne sais pas. Tout ce qui le touche est comme brouillé dans ma mémoire. Même sa voix m’a semblé parvenir comme réverbérée par un long écho.

— Pas étonnant s’il vous a envoûté… Savez-vous comment il s’y est pris ?

— Non, sinon je ne serais pas ici !

J’eus la distincte impression que mon visiteur était à court de patience, un signe de faim chez ses congénères.

— Je vous prie de rester calme. J’ai besoin de connaître certains éléments. Malheureusement, mon cerveau ne fonctionne pas à la même vitesse que le vôtre.

Il fronça les sourcils, se demandant s’il s’agissait d’une simple déclaration, de flatterie ou d’ironie. J’enchaînai :

— L’homme que vous avez tué sur son ordre, à quoi ressemblait-il ?

Il fit un geste d’agacement.

— Ben à un humain ! J’étais comme dans un rêve…

Pour la plupart des démons, vampires et autres génies, tous les humains se ressemblent. À peine s’ils peuvent distinguer les adultes des enfants et les mâles des femelles.

— Avait-il des cheveux ou était-il chauve ?

Au bout d’une dizaine de questions-réponses, je parvins à établir que sa victime était d’âge moyen, la peau sombre, de petite taille, avec des lunettes. Il semblait l’avoir trouvé trois ou quatre jours auparavant aux abords du quartier de la Lagune, près du Petit Canal.

— Comment se fait-il que votre ravisseur vous ait laissé libre d’aller et venir ?

— Il se fiche pas mal de ce que je peux faire quand il n’a pas besoin de moi, je suppose. Et j’ai faim.

Je me forçais à ne pas sauter sur mes pieds.

— Très bien. Je vais trouver cet homme. En attendant, allez au 14 rue de la Salamandre. C’est un petit refuge pour créature magiques, tenu par le Docteur Gamal, un ami. Il vous procurera du sang … en quantité limitée. Il rachète les stocks périmés de l’hôpital. Vous ne mangerez aucun humain dans cette cité… Ou ailleurs dans cette dimension. Ça fait partie des termes de notre contrat.

Il fit la grimace.

— Si vous voulez que je vous aide à retourner dans votre dimension, vous allez faire ce que je dis.

Le vampire me fixa, les yeux flamboyants. J’ai eu le canon d’une arme pointé sur moi à de nombreuses occasions. C’était beaucoup moins impressionnant.

— Bien, finit-il par laisser tomber d’un ton maussade. Et pour le paiement ?

— Le tarif habituel.

Il se leva et sortit sans un mot. J’attendis de le voir quitter l’immeuble de ma fenêtre et poussai un profond soupir. Onézime entra.

— Par les Dieux, il va dévorer la moitié de la ville !

— La plupart des créatures magiques respectent leur parole. Pas comme nous… Au travail ! Vous allez m’éplucher les journaux des trois derniers jours et voir si des hommes correspondant à sa description ont disparu ou ont été retrouvé massacrés près du Petit Canal.

La suite de l’après-midi se déroula sans incident. J’eus une demande d’exorcisme d’un esprit farceur, une commande de talisman protecteur… Je finissais de coucher les spécifications dans le registre lorsque des cris, des huées et des coups de sifflets parvinrent de l’extérieur. Je me tournai vers la fenêtre et écartai les lames du store vénitien.

Sur la Voie des Vents, en contrebas, la police avait réussi l’exploit de dégager la circulation. Un défilé silencieux remontait l’avenue sous les huées. Je l’avais lu dans les journaux depuis des semaines. Des zombies. On les avait débarqués de deux cargos en provenance de Nadinh ce matin. À présent, ils traversaient toute la cité de leur pas pour rejoindre leur usine. Ils portaient encore les restes de leurs uniformes et certains exhibaient des plaies béantes, dont le sang avait séché depuis longtemps. À d’autres, il manquait une partie de la tête. Ils n’en avaient pas besoin. Je serrai les dents. La plupart avaient du être très jeunes au moment de leur mort.

Au début de la Troisième Guerre du Détroit, entre le Nadinh et le Paras, les sorciers nadinites avaient mis au point un processus semi-industriel de zombification grâce à des quantités infimes de jus de lotus noir. Leur pays manquait de soldats et ils espéraient réutiliser ceux qu’ils avaient perdus. Malheureusement, un zombie ne pouvait agir qu’en fonction d’instructions strictes. Tout ce qu’ils étaient capables de faire sur un champ de bataille était de charger indistinctement. Les lance-flammes de leurs ennemis eurent tôt fait de les réduire en cendre. Aussi, l’état-major dut-il se résoudre à les utiliser à l’arrière, dans les usines. Bien sûr, il y eut des protestations et même des émeutes, au début. Les nadinites avaient beau avoir été fanatisés par vingt ans de propagande, ils pratiquant le culte des morts. Transformer des cadavres en zombies était considéré comme une abomination. Mais les politiciens firent valoir que le devoir d’un soldat était de servir sa patrie, même au-delà du trépas. Ils citèrent l’exemple du Hiérophant Noir qui rappela à la vie tous les guerriers morts du Continent pour combattre une armée de démons. Bref, les gens avaient fini par s’habituer à l’idée et les récalcitrants furent envoyés aux mines. Cela avait suscité l’intérêt de plusieurs industriels. C’est ainsi qu’après une grève particulièrement dure de ses ouvriers, Norman Stanford avait passé commande de deux cent zombies pour sa chaîne de montage d’autotracteuses. L’essai ayant été concluant, il en avait fait venir d’autres, lançant la première usine au monde entièrement opérée par des morts-vivants. Une aubaine pour les nadinites, à court d’argent, mais pas de macchabés.

Un zombie ne mange pas, ne boit pas, ne dort pas, ne proteste pas, n’utilise ni toilettes, ni douches et peut durer de vingt-quatre à quarante-huit mois, selon l’état de décomposition du corps avant le processus et la qualité du travail. Stanford les avait payé soixante aspres pièce, soit deux mois du salaire d’un ouvrier. Du jour au lendemain, presque tous les employés vivants de l’usine avaient pris la porte. Les autres industriels regardaient l’expérience avec intérêt, mais malheureusement pour eux, la guerre avait pris fin une semaine auparavant, coupant net l’approvisionnement en cadavres frais.

Le gros du contingent défilait sous mes fenêtres à présent. Je notai qu’une partie n’était pas des nadinites mais leurs adversaires. Il y avait une bonne centaine de fusilières parassies, les cheveux coupés court, vêtues des restes de leurs uniforme vert. Décidément, les sorciers du Nadinh avaient récupéré tous les corps qu’ils pouvaient.

La pluie avait recommencé à tomber. Le silence avait fini par se faire. Pour une fois, même les jartiens se sentaient mal à l’aise. Je sentis les larmes me monter aux yeux. Malgré moi, mes lèvres se mirent à remuer pour former les paroles de la prière des morts. La seule que je connaissais pour l’avoir récité des dizaines et des dizaines de fois. J’aurais pu être parmi eux.

Quelques sifflements s’élevèrent à nouveau alors que le cortège atteignait la Place du Merlion. Un pavé atterrit sur le sol entre deux mort-vivants. J’entendis « Blasphémateurs ! » et sur un ton totalement différent « À bas le capital ! ». Des policiers se ruèrent dans la foule, à la recherche des fauteurs de trouble. Je laissai retomber le store, me servis un verre de cognac et revins m’assoir devant mon bureau. Padmé disait que la magie allait trop loin. Elle n’avait peut-être pas tort.

Je repris mes esprits et ouvris à nouveau la porte sur la salle d’attente. Il ne restait plus qu’un client, un nordiste corpulent et barbu, d’un certain âge. Comme la plupart de ses compatriotes, il portait beaucoup trop de vêtements. Ses yeux bleus avaient une acuité peu commune. Des yeux de prédateur. La réceptionniste annonça :

— Monsieur Stanford.

Je lui souris et m’effaçai pour le laisser passer, tout en me disant que j’avais entendu ce nom peu de temps auparavant. Mais oui, Stanford, comme les automotrices et les zombies qui défilaient dans la rue. Je me carrai dans mon siège et dis de mon ton le plus professionnel :

— Alors, que puis-je faire pour vous, Monsieur Stanford ?

— Tout d’abord, je vous demande le secret le plus absolu.

— Mais bien entendu. Nous avons l’habitude des affaires confidentielles. Quel est votre problème ?

— Je suis victime d’un sabotage.

— Ah ?

— Comme vous le savez, dit-il d’un ton suffisant, je possède les deux plus grandes usines d’autotracteuses de la cité. La première est entièrement opérée par des zombies et a très bien fonctionné pendant des mois. Mais il y a eu une série d’incidents.

— Que voulez-vous dire ?

— Plusieurs véhicules ont présenté des dysfonctionnements, même s’ils avaient passé tous les tests de vérification. Ensuite, des machines sont tombées en panne, arrêtant toute la chaîne de montage.

— Je vois. Mais pourquoi venez-vous me consulter ? Si vous soupçonnez des actes de malveillance, c’est du ressort de la police ou peut-être d’un détective privé…

— La police ! grogna-t-il avec mépris. Une bande d’incapables. J’ai embauché l’agence Pilkerton et ils n’ont rien trouvé. Mais ils ont suggéré qu’il s’agissait peut-être d’un problème magique, comme une malédiction.

C’est incroyable à quel point les gens les plus rationnels sont enclins à invoquer la magie dès qu’il y a quelque chose qu’ils n’arrivent pas à résoudre ! Mais cela faisait rentrer de l’argent dans nos caisses sans effort.

— Qu’est-ce qui leur a fait dire ça ?

— Ils n’ont rien trouvé de … matériel. Personne n’est entré dans l’usine. Il n’y reste que trois hommes vivants, des employés fidèles que je connais depuis vingt ans. Cependant, beaucoup d’ouvriers dont je me suis séparé à l’arrivée des zombies ont été… très mécontents. La plupart étaient des émigrés méralais. Alors les détectives pensaient que l’un d’eux avait pu jeter une malédiction pour se venger…

Il eut un reniflement de mépris. Comme tout nordiste, il croyait en la Voie. Les Anciens Dieux, les esprits et autres étaient pour lui un ramassis de superstitions. Il pouvait concevoir le Pouvoir comme une forme d’énergie qui pouvait s’utiliser avec profit, mais son aspect métaphysique lui échappait totalement. Je n’étais pas sûre de réussir à le lui faire comprendre.

— Si l’un de vos anciens ouvriers avait la capacité de manipuler la magie, il n’aurait pas travaillé dans une usine, Monsieur Stanford… Vos détectives pensaient-ils à un individu en particulier ?

Je crus voir passer une ombre fugace sur son visage, qui fut immédiatement remplacée par une expression de dédain.

— Il y avait plusieurs meneurs lors de la dernière grève…

L’histoire habituelle.

— D’autres personnes auraient-elles pu avoir intérêt à vous lancer ce genre de sort ?

— Entre mes concurrents, et divers activistes politiques et religieux, ce ne sont pas les suspects qui manquent !

— Ce n’est pas ce que je veux dire. Les incidents que vous m’avez décrits ne me semblent pas particulièrement graves. Si quelqu’un vous en voulait vraiment, et avait les moyens de vous lancer une malédiction, il aurait déjà brûlé votre maison, avec vous à l’intérieur.

— Ce n’est pas leur but. Ils sont opposés à l’usage des zombies. S’ils arrivent à me discréditer en montrant des malfaçons dans mes véhicules, ils auront réussi.

Ça, J’en doutai. Ces deux groupes avaient tout intérêt à faire quelque chose de plus radical ou spectaculaire que quelques cafouillages. Mais je n’allai pas faire part de mon opinion à Stanford. Cette enquête, c’était de l’argent facile. Au plus deux jours de travail pour conclure qu’il n’y avait rien de surnaturel. Il y avait bien à l’arrière de mon esprit une petite voix qui me disait de ne pas me mêler d’histoires de zombies, mais je la refoulai comme un reste des superstitions de mon enfance.

— Bien, nous allons étudier votre problème, repris-je d’un ton professionnel. Cependant, je crains de ne pas trouver grand-chose. Il me faudra une copie du rapport de Pilkerton, bien sûr.

— Vous l’aurez ce soir.

— Voyons... où est située votre usine exactement?

— À l’Ancienne Mangrove.

Je fis un effort de mémoire.

— Il y avait un cimetière sur la berge Est.

Il haussa les épaules.

— Comme partout.

En effet. Une cité vieille de plusieurs millénaires devait bien laisser ses morts quelque part. Depuis deux siècles, le problème avait été réglé par la pratique généralisée de la crémation, sinon, on n’aurait pu creuser nulle part sans tomber sur quelques ossements. Mais l’Ancienne Mangrove n'était pas réputée abriter des tombeaux à problèmes.

— Avez-vous pratiqué les rituels de purification?

— Oui, j'ai payé un prêtre... Plus pour le public que pour le reste.

— Je suppose que vous ne croyez pas à ces choses, la purification, les dettes mystiques et autres....

— Non.

Je soupirai.

— Comme vous êtes mon client, il est de mon devoir de vous informer que s'il y a effectivement une explication... non naturelle à ces incidents, il faudra sans doute la chercher de ce côté. La magie a une composante matérielle et métaphysique. Pour comprendre la matérielle, il suffit de quelques appareils. Pour la partie métaphysique… Il est très facile de faire une erreur de calcul dessus.

Pendant que je parlai, il consulta la montre qu’il avait sorti de son gousset. L’audience était terminée. Il allait sans doute se rendre à un autre rendez-vous.

— Je me fiche de savoir comment vous faites. J'ai un problème, je vous paie pour le résoudre. Dans dix jours, la chaine de montage fabriquera des chars d’assaut. J’ai une commande de deux cent pièces à livrer au Nadinh dans quatre mois, je ne peux me permettre des incidents de ce genre.

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T
Vivement la suite!!!<br /> J’espère que le Frelon et Tanit feront plus largement connaissance dans les suites...<br /> En tout cas, j'ai adoré votre création.
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A
Je suis contente que ça vous ait plu!
M
Ça a vraiment l'air génial ! Hâte de le lire complètement.
Répondre
M
D'accord c'était pour savoir sinon j'aurai privilégié la version papier ;)<br /> Merci pour ces réponses rapides :)
A
Jusqu'à fin Octobre, il sera disponible seulement en numérique et sur Amazon, car c'était la condition pour participer à leur concours. Après, il sera disponible chez FNAC et Smashwords, mais je n'ai pas prévu de version papier pour l'instant.
M
Une question : tous vos livres sont disponibles uniquement en ebook ou également en version papier ?
A
Heureuse de voir que ça t'intéresse!