La morale de l'histoire 2
Pourquoi certaines histoires sont vite oubliées, genre rasoir jetable, et d'autres vous restent dans la tête?
Perso, je pense qu'il y a un certain équilibre entre les différents éléments qui font une bonne histoire. Je dirais, mais c'est très perso, qu'il y en a 4.
D'abord, il y a le style, bien sûr. Le vocabulaire, la grammaire, les effets de style, l'humour. Le fait que vous parveniez à faire comprendre, voire visualiser l'histoire à votre lecteur.
Ensuite, il y a l'intrigue et les personnages qui peuvent frapper par leur originalité. Comment l'histoire est-elle construite? Y a-t-il des rebondissements malins? Des persos inhabituels?
La plupart des pulps, romans populaires et romances s'arrêtent là.
Ce n'est que certains d'entre eux qui ont ce "supplément d'âme": les thèmes abordés.
Quoi de plus banal en fantasy que l'l'histoire d'un personnage ou d'un groupe de personnages qui découvrent un autre univers et se retrouvent pris dans une lutte épique entre deux factions? Il est loin d'être mon auteur favori, mais la façon dont CS Lewis introduit mine de rien la notion de péché ou de sacrifice divin dans le premier tome de Narnia a de quoi impressionner. Beaucoup de lecteurs n'ont rien vu, mais se souviennent du roman! Stephen Donaldson, lui utilise ce monde pour refléter l'esprit du protagoniste, ses vices et ses interrogations dans les Chroniques de Thomas l'Incrédule.
Prenons un autre exemple archi, classique: Un groupe d'individus se trouve prisonnier dans un endroit isolé et les membres meurent les uns après les autres. Le prototype est Dix petits nègres d'Agatha Christie qui ne relève pas de la SFFF, mais il a donné lieu à quantité de variantes, depuis le film "Cube" et jusqu'au romans "Battle Royale" ou "Hunger Games". La grande différence entre le premier et les deux derniers, c'est que dans Cube, on se demande de quelle façon sanglante les protagonistes vont mourir et pourquoi ils sont là alors que pour les deux derniers, on se demande et on ressent... Plein de choses. Il y a tout un univers derrière, des personnalités approfondies auxquelles on s'attache, bref beaucoup plus de travail de la part de l'auteur.
Alors, quels thèmes allez-vous traiter? D'ailleurs, pourquoi avez-vous choisi ce genre d'histoire? Qu'est-ce qui vous intéresse dedans, à part les torrents d'hémoglobine?
Les personnages vont-ils être tués par une force extérieure, ou se tuer entre eux? La deuxième option permet de nombreux développements, comme l'ont montré beaucoup de romans. D'abord, pourquoi doivent-ils se tuer entre eux? Pour distraire la population? La terrifier? Est-ce une expérience de psychologie? Un rituel religieux avec des sacrifices humains?Ensuite, qui sont-ils? Des citoyens choisis au hasard? Des criminels? Si ce sont des criminels, le sont-ils d'après nos critères à nous, genre un serial killer ou les critères de la société où ils vivent, genre opposant politique/religieux? Bref, "méritent-ils" leur situation? Vous voilà en train de traiter le thème du bien et du mal, du crime et du châtiment. Ça vous oblige à approfondir la psychologie de vos personnages. Votre serial killer, pourquoi est-il serial killer? Et votre opposant politique? Ensuite, ça amène les protagonistes à faire un choix moral: tuer ou être tué? Et s'ils se connaissaient tous? Ensuite, lequel aura le plus de scrupules? Le serial killer ou l'opposant politique? Et si c'était le serial killer? Vous voilà peut-être en train d'étudier le thème du repentir et de la rédemption!
Si vous commencez à traiter de grands thèmes pareils, il va d'abord falloir définir votre propre position sur le sujet. Que pensez-vous du bien, du mal, des crimes, du châtiment, du repentir et de la rédemption? Zut, on pensait écrire un petit texte sans se prendre la tête et on se retrouve avec un sujet du bac hilo! Qui a dit que la fantasy, c'était pour les imbéciles?
Ensuite, et c'est là, amha le plus difficile, il faudra que la personnalité de vos protagonistes et la façon dont vous construisez l'intrigue porte vos thèmes. Le pire, c'est que certains auteurs le font sans doute de façon purement intuitive, sans se poser de question, alors que d'autres doivent suer sang et eaux pour arriver au même résultat. La vie est injuste! Bien sur, attentions aux clichés divers sur les meurtriers, les criminels et les victimes
Pour en revenir à l'exemple de Narnia, Aslan se sacrifie pour sauver le moins sympathique des quatre héros, comme le Christ se sacrifie pour le pécheur, et pas pour les individus nobles et sans tache. Dans le cas des Chroniques de Thomas, l'Incrédule, c'est juste au moment où le protagoniste récupère sa santé et que le lecteur s'imagine qu'il va devenir le parfait héros de fantasy, qu'il viole la jeune fille qui l'a accueilli et soigné.
Bref, il vous faudra sans doute utiliser un savant mélange de parallèles et d'oppositions pour faire comprendre vos idées au lecteur.
Qui a dit qu'écrire de la SFFF c'était facile?