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Fantasy d'ici et d'ailleurs

Robert Erwin Howard, (22/01/1906-11/06/1936)

22 Janvier 2016 , Rédigé par Alex Evans Publié dans #Histoire de la fantasy

Robert Erwin Howard, (22/01/1906-11/06/1936)

Pour l'anniversaire de la naissance de l'une de mes grandes idoles, j'ai décidé de lui consacrer un petit billet de ce blog. Je sais que tout a déjà été dit sur lui et son contraire, mais je ne peux m’empêcher de radoter un peu.

Et comme je suis en train de traduire ses nouvelles cthulhesques (oui, une traduction de plus), je me suis penchée plus étroitement sur le personnage, ou ce qu’on peut en entrevoir. Né en 1906, il appartenait à la même génération que mes grands-parents. Si ado, je dévorais les aventures de Conan sans me poser de questions, ses autres nouvelles m'avaient déjà fait tiquer. A mon âge vénérable, j’ai redécouvert un individu à l’existence pleine de contradictions.

Pour mémoire, il fut un auteur de pulps, écrivant en majorité des nouvelles, mais aussi des poèmes et trois romans (inachevés). Il passa toute sa vie au Texas, essentiellement à Cross Plains (1200 habitants à son apogée dans les années 40). Contrairement à la plupart des gens de sa génération, largement pourvus de famille à 30 ans, il resta célibataire, à tel point que nombre de biographes des années 80 suggéraient qu'il était gay, jusqu’à la découverte d’une copine, Novalyne Pryce. Il se suicida à l'âge de 30 ans, à la suite du décès de sa mère. Première contradiction : son existence fut des plus effacées, en opposition complète avec ses héros aventuriers et globe-trotters, amateurs de jolies filles et de boissons fortes (on était en pleine Prohibition).

Il parvint très jeune à gagner sa vie comme auteur de pulps et vécut dans une certaine aisance, y compris pendant la Dépression, contrairement à Lovecraft et Clark Ashton Smith qui passèrent une bonne partie de leur existence à tirer le Diable par la queue. Howard aurait fait remarquer un jour qu'il gagnait plus d'argent que le banquier de sa ville! Question: pourquoi un homme aimant manifestement la littérature, les discussions littéraires, les voyages et ayant des sous choisit-il de rester dans sa bourgade agricole perdue au fin fond du Texas ? Lovecraft vivait à Providence et New York. CA Smith devait affronter la pauvreté, aussi bien que la tuberculose en Californie. Mais REH était en pleine forme, du moins physiquement, sportif et financièrement à l'aise… Du coup, les navires de Wild Bill Clanton, les bibliothèques feutrées de Nouvelle Angleterre où dorment des ouvrages maudits etc…, il ne les vit jamais autrement qu'en images. Il ne rencontra jamais personnellement ni Lovecraft, ni CA Smith. De nos jours, on le verrait bien en nerd cramponné à son ordinateur !

Autre paradoxe: de nos jours, on se rappelle de lui les aventures de Conan et ses semblables: Bran Mac Morn, King Kull. De son temps, ce qui faisait bouillir sa marmite, c'étaient des récits de marins, de boxeurs, des westerns, bourrés de clichés du genre qu'on ne peut lire qu'à titre de curiosité historique (auteurs de romance, prenez-en de la graine: que restera-t-il de vos œuvres dans une cinquantaine d'années?). Son autre succès furent des récits centrés sur le Moyen-Orient, passé et présent, très bien documentés pour l'époque, ce qui laisse penser qu'il avait dû beaucoup lire sur le sujet. Oui, même REH prenait la peine de se documenter, zut alors! À ce propos, les barbares chevelus venant travailler comme mercenaires dans un pays trop civilisé ont largement existé dans l'histoire: mercenaires goths de l'armée romaine ou vikings de la garde varangienne byzantine. L'étendue de ses lectures se reflète dans sa correspondance. Et il ne lisait pas que les best-sellers de la littérature classique, mais des ouvrages relativement obscurs! Se faire envoyer ce genre de bouquin avant Amazon et Cie coutait cher et prenait du temps!

Il écrivit aussi quelques essais et même des textes humoristiques! Enfin, un aspect très personnel de son œuvre semblait être sa poésie, y compris X (pour l'époque!) : voyez Lesbia ou Adam et Eve.

Un paradoxe de plus, puisque je suis plongée dedans: ses nouvelles cthulhesques : les héros de Howard, très physiques, avec leur façon d'affronter bille en tête ennemis bien humains et créatures surnaturelles sont à l'opposé de ceux, bien cérébraux de Lovecraft. Dans les trois premières, où le héros se contente d'observer, on a l'impression que Howard est mal à l'aise. La Pierre noire contient d'ailleurs quelques incohérences qui auraient sans doute horrifié un bétalecteur moderne. D'ailleurs le style d'écriture lui-même, oscille entre « une clarté stupéfiante et un amas d’imprécision », la phrase utilisée pour qualifier le contenu du Livre Noir. On est tenté de se demander si un bétalecteur n'avait pas fait ce reproche à Howard lui-même, à moins que ces récits ne contiennent réellement un message caché ! Ce style place le traducteur devant un dilemme: respecter les ambiguïtés et passer pour un mauvais traducteur ou les supprimer et trahir le texte original. Jusqu'ici les traductions françaises ont choisi la deuxième option, donnant de ces oeuvres une image bien plus simpliste que la réalité.

L'autre problème de ces nouvelles, c'est que deux d'entre elles, Les Enfants de la nuit et La Pierre noire, tournent essentiellement autour de la notion de race, voire de race à exterminer, difficile à digérer en 2016, même par un fan de Howard. De plus, il y fait quelques approximations historiques, volontaires ou non, voilà une question à débattre. Il ne faut pas oublier qu'elles ont été écrites en 1931, soit deux ans avant la prise du pouvoir des nazis en Allemagne. Heureusement pour Howard, ses races maudites adorant des dieux pervers sont imaginaires et non des juifs bien réels! D'ailleurs, dans Les Enfants de la nuit, le représentant de la "race maudite" apparaît comme un type plutôt sympa et inoffensif, et on a du mal à adhérer au projet final du narrateur de l'assassiner. Peut-être cette nouvelle reflète-t-elle les doutes de Howard lui-même! Bref, il n’apparaît pas plus raciste que ses contemporains américains, entre la ségrégation raciale, la peur du Péril Jaune et les délires antisémites de son copain Lovecraft. A l'époque, c'est ne pas être raciste qui demandait un effort particulier or, la vision du monde de Howard apparaît des plus conventionnelles. Il en est d'autant plus paradoxal, encore une fois, que contrairement à des flopées d'auteurs oubliés, ses personnages secondaires de noirs ou de chinois sont individualisés comme les autres personnages secondaires et ne sont pas des stéréotypes (vous rappelez-vous des risques de mettre des stéréotypes dans vos romans?).

Tentant de suivre Lovecraft, Howard imagine un Mal absolu, extérieur à l'homme dans ses nouvelles cthulhesques. Mais il peine à le faire. Dans ce Texas où les règlements de comptes à coup de revolver étaient monnaie courante seulement deux générations auparavant et les gangsters de la Prohibition sont encore partout, il sent bien que le mal est d'abord dans le cœur des hommes. Trois ans après sa mort, l'Histoire lui donnera entièrement raison, surtout dans cette Europe de l'Est où il avait situé La Pierre noire, à tel point que le texte sonne presque comme une prémonition.

Enfin, Howard n’apparaît pas comme préoccupé par le Mal et malgré tout ce qu'il peut écrire sur les "rites impies". Ill ne se préoccupe pas non plus de religion (ce sujet était en train de passer de mode, même aux US, avant de revenir en force ces vingt dernières années). D'ailleurs, on se demande où est la place du Dieu chrétien parmi les Grands Anciens? Contrairement à Jack London, qui l'inspira et mettait ses idées politiques dans ses romans (il écrivit l'une des premières dystopies, « Le Talon de Fer »), Howard ne professe pas de grandes théories morales, politiques ou sociales dans ses écrits. London roula pas mal sa bosse, connut la pauvreté, la délinquance, la maison de redressement et la maladie, de quoi avoir des idées bien tranchées. Au contraire, la vie de Howard apparaît relativement calme, protégée et retirée. Il en est d'autant plus paradoxal qu'il parvint quand même à imaginer un personnage aussi original pour l'époque que Conan!

Bref, un personnage aussi complexe que les mystères évoqués dans ses livres.

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